Pas d’autogestion sans libertés, l’état d’urgence c’est contre les libertés

Pour montrer que l’état d’urgence s’oppose aux libertés, pas besoin de grandes explications : ses initiateurs l’assument, estimant que la sécurité des citoyens est supérieure à la liberté d’aller et de venir, d’occuper l’espace public pour y manifester son opinion.

Inutile de répéter ce qui est parfaitement dit et écrit dans de nombreux documents et sites sur l’efficacité – ou l’inefficacité – de l’état d’urgence en matière de lutte antiterroriste car les résultats obtenus l’ont été avec les instruments juridiques déjà existants. En revanche, on a pu aisément constater qu’en laissant l’administration et les forces de répression « autogérer » à leur façon l’état d’urgence, ce sont bien d’autres catégories qui ont subi perquisitions, gardes à vue ou assignations à résidence.

Imaginons un peu : une entreprise est occupée par ses salariés et au passage le PDG est un peu « houspillé ». Finalement les travailleurs décident de remettre l’entreprise en route au service de la lutte, tout comme Lip en son temps. Cela devient une situation « hors la loi » puisque le sacro-saint droit de propriété est violé. Avec l’état d’urgence, que le gouvernement veut prolonger et constitutionnaliser, ce « trouble à l’ordre public » servirait d’argument puisque cela « détournerait les forces de l’ordre de leur mission » qui doit s’accomplir dans les transports, dans les grands magasins ouverts le dimanche, les stades ou les concerts, etc. De là à estimer qu’il faudrait assigner à résidence les militants actifs, ou perquisitionner les domiciles, les locaux syndicaux pour y trouver non des armes mais des produits fabriqués par les travailleurs (des montres, du thé)… Car, n’en doutons pas, le pouvoir valorise l’individu client, l’individu spectateur (du pain et des jeux) plutôt que l’expression collective, revendicative, politique.

Exagération ? Non, car comment expliquer que sous couvert de lutte contre le terrorisme islamiste, des militants écologistes ou des zadistes se soient vus assignés à résidence ? Comment accepter que des opposants politiques – que sont certains écologistes et tous les zadistes – se voient obligés de rester chez eux de 20h à 6h du matin et de pointer trois ou quatre fois par jour à un commissariat souvent éloigné de chez eux ? Cela nous rappelle des méthodes de harcèlement politique digne d’un autre âge mais certainement pas d’un régime qui se réclame de la démocratie.

Pourquoi une police, directement contrôlée par le gouvernement, expression du pouvoir exécutif, a-t-elle pu agir de la sorte ? N’y a-t-il pas déjà ici une utilisation directement politique, pour ne pas dire politicienne, de l’état d’urgence ? Dès lors, pourquoi l’état d’urgence ne frapperait-il pas d’autres secteurs de l’action du mouvement social ?

Si la gauche gouvernementale déclare qu’elle n’assimile pas toute manifestation au terrorisme, d’autres, comme le MEDEF, assimilent les grévistes aux « preneurs d’otages ». Le gouvernement estime que les manifestations revendicatrices dispersent les forces de police et que donc les terroristes auraient les mains libres. Qui sait quels seront les partis au pouvoir dans un an, dans deux ans ? Qui sera aux manettes de l’état d’urgence constitutionnalisé à ce moment-là ?

On sait où mènent les pouvoirs étendus des appareils policiers et militaires dans de telles conditions, échappant même à l’autorité politique alors qu’il faudrait au contraire développer l’information, le contrôle de la population sur la police et l’armée. On se rappelle que les « pouvoirs spéciaux » pendant la guerre d’Algérie, théoriquement faits pour améliorer la situation des musulmans d’Algérie ont conduit le gouvernement, qui les avait demandés, à accentuer le dispositif de répression. « Pouvoir spéciaux » ou « état d’urgence » c’est toujours contre les libertés. De ce point de vue, l’observatoire lancé avec la Ligue des droits de l’Homme est une bonne initiative

Non, décidément, la liberté pour les travailleuses et travailleurs, pour le mouvement social de se défendre, d’agir, de débattre, de manifester pour exercer ses droits, du pouvoir, le pouvoir sur l’espace, la ville, l’entreprise est incompatible avec l’état d’urgence.

La lettre du mois de décembre