Élisabeth Dmitrieff (1851-1910 ou 1918)

Née en Russie, Élisabeth Dmitrieff est la fille illégitime d’une infirmière d’origine allemande et d’un propriétaire terrien russe. Il refuse de la reconnaître mais lui laisse un héritage conséquent. Elle reçoit une bonne éducation et poursuit ses études à Saint Petersbourg. Avec sa mère, ses frères et ses sœurs, elle a l’habitude de discuter politique durant les longues soirées d’hiver. Vers la fin des années 60, elle se met à militer dans les cercles révolutionnaires et socialistes.

En 1869, Élisabeth contracte un mariage blanc avec le colonel Tomanovski pour pouvoir aller à l’étranger. Elle part ensuite à Genève. Elle est déjà multi-linguiste parlant, outre le russe, l’allemand, l’anglais et le français. Elle possède une grosse somme d’argent. Genève est, à cette époque, un lieu d’exil pour de nombreux réfugiés politiques. Il y a notamment une grande communauté de révolutionnaires russes, élargie selon les filiations, qui est très impliquée dans l’Internationale ouvrière (première Internationale). On peut citer Bakounine ou Anna Jaclard.

Cette communauté est également traversée par un fort courant féministe. Elle rejoint le camp de Nicolas Outine, en conflit avec Bakounine, et s’engage dans la section russe de l’Association Internationale des travailleurs, qu’il a fondée, ainsi que dans la section des dames, chargée des travailleuses.

Fin juin 1870, Élisabeth s’installe à Londres, où elle se lie d’amitié avec Karl Marx et sa fille Jenny. Elle prend part à plusieurs réunions publiques de l’AIT et même à certaines de son Conseil général.

Suite à la proclamation de la Commune de Paris, le 26 mars1871, Élisabeth Dmitrieff, qui n’a encore que 20 ans, est envoyée dans la capitale française par Karl Marx pour couvrir l’événement.

Une fois sur place, elle prend une part active dans le mouvement communal. Elle porte, en elle, le désir de syndiquer les travailleuses. Elle fonde avec d’autres femmes et notamment Nathalie Lemel, avec qui elle en sera la principale animatrice, « l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins des blessés ».

Membre du Comité central de cette Union, elle s’occupe surtout de questions politiques et se démène particulièrement pour la mise en place et l’organisation d’ateliers coopératifs. De ce fait, elle rentre en relation avec Fränkel, membre de la Commission du Travail, de l’Industrie et de l’Échange. Elle se lie d’amitié avec lui, en qui elle trouve un allié, notamment pour que ce projet commence à prendre forme. Ces ateliers sont d’abord rattachés au secteur de la couture, offrant un travail à domicile à de nombreuses femmes au chômage, qui mises en association, peuvent vendre directement le produit de leur travail, sans intermédiaire.

Durant la semaine sanglante, Élisabeth prend part aux combats de rue. Nul ne sait comment, mais elle réussit à échapper aux versaillais et on pense qu’elle retourne à Genève. On retrouve sa trace en Russie, au mois d’octobre. Elle épouse un russe et le suit en Sibérie où il est déporté en raison d’escroqueries diverses, qu’il a commises.

Le 26 octobre 1872, en France, le Conseil de guerre prononce contre elle une condamnation à la déportation par contumace, en raison de son implication dans la Commune de Paris.

Qu’a t’elle fait de sa vie par la suite ? Mystère, il semblerait qu’elle ait abandonné la politique. Même la date de sa mort reste incertaine.

C’est sur son nom « Cercle Élisabeth Dimitrieff » utilisé comme un symbole que se regroupèrent dans les années 70 des femmes qui se revendiquaient à la fois du mouvement des femmes et de l’autogestion. Elles participèrent à toutes les activités du MLF et pour une bonne part en prenaient l’initiative.

Une brochure « « Pas de libération des femmes sans Révolution socialiste, Pas de Révolution socialiste sans libération des femmes », rapide histoire du Cercle Élisabeth-Dimitrieff (1970/1975) raconte cette histoire. Elle mériterait d’être republiée tant pour la lutte des femmes que pour les apports à l’autogestion. Citons Danielle Riva qui en était une des animatrices :

« Tout était à construire : une nouvelle identité de femme, de nouveaux rapports humains et sociaux. Il fallait casser les hiérarchies dites « naturelles » : homme/femme, parent/enfant, colon/colonisé, Capital/Travail.  …

Nous revendiquions le féminisme et le marxisme et nous voulions être un lieu de propositions et de débats. Avec quelques filles du mouvement (comme Emmanuelle de Lesseps qui fonda par la suite avec Christine Delphy, Questions féministes) nous avons mis en place un courant, non mixte, ouvert à toutes : le cercle Élisabeth-Dimitrieff, essentiellement à Paris, puis à Lyon et ensuite à Bordeaux et à Nantes, sans savoir exactement qui était E.-Dimitrieff sinon qu’elle avait été envoyé par Karl Marx auprès de la Commune de Paris en 1871. En fait, Élisabeth Dimitrieff a fondé avec Nathalie Lemel « L’Union des femmes pour la défense de Paris en avril 1871 ». Elle militait pour la création d’ateliers coopératifs féminins. Elle a écrit dans une lettre : «L’organisation tendant à assurer le produit au producteur ne peut s’effectuer qu’au moyen d’associations productives libres exploitant les diverses industries à leur projet collectif. » L’autogestion était déjà au rendez-vous…

… Nous en avons pris le risque légal (même si la plupart d’entre-nous n’avions pas avorté). Nous avons défendu le Manifeste des 343 et l’avons réalisé de bout en bout jusqu’à sa sortie dans la presse (5 avril 1971). Le journal Le Monde, André Fontaine à l’époque, refusa de le publier en première exclusivité, il n’en publierait que des extraits. J. Daniel du Nouvel Obs. grâce à l’insistance de Christiane. Rochefort a compris le scoop qu’il pourrait en tirer. Nous étions donc une trentaine de filles autour d’Anne Zelensky qui devînt le pivot car les réunions se tenaient chez elle et elle avait donné la boîte postale de son groupe de réflexion (FMA.– féminin masculin avenir) pour la collecte des signatures. Elle relate d’ailleurs en partie cela dans ses livres, et l’on connait la suite.

Pour la petite histoire, nous avons été excommuniées par le Pape Paul-VI en personne lors d’un message urbi et orbi télévisé ! Autre anecdote : nous nous sommes aussi souvent invitées, en jouant de la crécelle, avec les « FR » dans les meetings du professeur Lejeune (fondateur de « Laissez les vivre » résolument contre l’avortement), comme à Saint-Nicolas-du Chardonnet — fief des intégristes chrétiens — ou ailleurs. Il fallait courir très vite car les jeunes gens du service d’ordre étaient de fringants nazis.

Dans la foulée du Manifeste, des hommes, dont des médecins, se sont présentés pour soutenir la campagne et, de ce groupe mixte hommes et femmes du mouvement est né le MLA. Le cercle Dimitrieff et l’AMR en furent parties prenantes. Le MLA (Mouvement pour la liberté de l’avortement) donna naissance au Manifeste des 331 médecins qui déclarèrent avoir pratiqué des avortements puis au MLAC national (Mouvement pour la liberté de l’avortement et pour la contraception) qui se réunissait dans les locaux de la CFDT à Montholon avec Jeannette Laot (secrétaire nationale), Simone Iff du Planning familial et quelques représentantes politiques : Arlette Laguiller pour LO et qui ne disait jamais rien, Irène Krivine pour la Ligue communiste, Colette Audry le PS., Irène Charamande le PSU, moi pour l’AMR et Dimitrieff. Nous avons donc participé à l’élaboration de la chartre du MLAC et nous avons été par ailleurs le seul courant politique à soutenir le meeting de lancement organisé par le MLAC national et le Planning à la Mutualité en février 1973.

Le cercle E.-Dimitrieff avait proposé en novembre 1971 de relayer la marche internationale des féministes américaines. Nous en avons réalisé la plus grande part des panneaux et des banderoles qui rendent très reconnaissables cette manifestation que l’on peut revoir souvent à la télé. C’est au cours de cette manifestation, qu’en passant devant l’église Saint-Ambroise, le cortège rencontre un mariage. Je ne sais ce qu’est devenu ce mariage mais les mariés ont eu de quoi méditer sur leur future vie de couple. »

Danielle Riva, « féminisme et lutte des classes », Utopie critique n° 52, 4ème trimestre 2010.