revolutionQuelles sont les conditions du déclenchement du processus révolutionnaire ? C’est une question que chacun est légitimement en droit (et en devoir ?) de se poser. La réponse est moins évidente. Il ne s’agit pas ici de fournir LA réponse, si tant est qu’elle soit unique. Remarquons les relations de causalités et de conséquences entre la légitimité de l’État perçue par les citoyens, quels qu’ils soient, et la mobilisation révolutionnaire. Évidemment toutes ces considérations sur l’État ne m’empêchent pas de garder l’objectif premier de tout révolutionnaire à savoir la suppression de l’État.

L’élément déclencheur du processus révolutionnaire est la relation des citoyens à l’État en crise dans l’incapacité de jouer le rôle qu’il prétend ou devrait assumer ou que les citoyens lui créditent et qu’il faut donc « faire à sa place ». Il faut que l’État soit « impuissant à prendre ces mesures » « incompétent », aveugle ou obsolète.

Cela joue aussi pour l’Entreprise quand le marché ou le taux de profit impose (selon le patron) des licenciements ou la fermeture. L’État ou l’entreprise sont perçus comme incapable de résoudre les problèmes. C’est le constat de l’incompétence et de l’urgence que surgissent des réponses qui cherchent à remplacer l’État ou l’Entreprise par des réponses de type autogestionnaire.

Quand la crise est majeure et urgente

La crise doit donc être MAJEURE et que l’urgence des besoins à résoudre soit IMPÉRIEUSE. Le « peuple » cherche et… trouve des solutions. Ces solutions arrivent d’autant plus facilement que la maturation idéologique sur la question du pouvoir s’est réalisée. Les conditions permettant la naissance d’un « double pouvoir », germe d’une pratique autogestionnaire de fait.

On constate que les révolutions, même lorsqu’elles ont été précédées par une longue maturation idéologique comme en 1789-93, ne deviennent « actives » qu’à la faveur d’une vacance du pouvoir, elle-même issue de crises. Des pouvoirs alternatifs naissent et, parfois après une phase de double pouvoir, ce nouveau pouvoir supplante l’ancien.

Si une structure, une classe, un parti (celui des bons « révolutionnaires » par exemple) ou une quelconque organisation, monte dans le carrosse du pouvoir en se substituant aux citoyens, une fois cette substitution faite, les « bons révolutionnaires » ou les représentants de la classe bourgeoise ne veulent plus descendre du carrosse.

Tous les ingrédients n’étaient pas réunis en 1917 et en particulier la capacité idéologique et culturelle d’une vraie relève. Les structures permettant d’exercer cette relève étaient certes là, à l’état naissant et embryonnaire même avec l’expérience de 1905, mais elles furent contournées quand elles ne furent pas combattues.

Un véritable deuxième pouvoir qui s’imposait …

Ces structures (les conseils ou soviet) constituaient un véritable deuxième pouvoir qui s’imposait ses décisions aux gouvernements, aux états-majors et dans de nombreuses entreprises aux patrons et aux grands propriétaires terriens. La culture, l’idéologie et les formes d’organisations du POSDR (bolchevik) étaient à l’opposé de cette stratégie. Sa culture l’amenait de fait à une pratique substitutiste.

Pourtant les « Thèses d’avril » qui se résument par « la paix, la réforme agraire et le pouvoir aux conseils (soviets) » proposaient une orientation différente qui ne gagnât la majorité chez les bolcheviks qu’après une longue bataille.

Les moyens de coercition justifiée par la « dictature du prolétariat » ont été pratiqués « à la hauteur » des violences de l’autre camp. Cela justifia la mise en place d’une « police de classe » qui devient rapidement une police tout court qui ne rendit compte qu’au Bureau Politique, et bientôt qu’à elle-même. La Tcheka avait remplacé l’Okhrana tsariste avec en prime la justification de la dictature du prolétariat et le mépris officieux certes mais bien réel de toutes les règles du droit que les bolcheviks avaient eux-mêmes fixées.

Ne pas organiser le « contrôle des élus » dans une structure autogestionnaire (qui remplace la structure de l’État ou de l’entreprise) c’est faire le lit de la substitution. Le mandat d’un élu ne peut avoir de sens que si celui-ci est révocable sinon l’élu devient un détenteur d’un pouvoir sans correctif possible. Les grandes décisions qui impliquent la vie et la pratique des producteurs, des consommateurs et des citoyens doivent être soumises à débats, contradictoires si nécessaire, pour permettre des décisions en connaissance de cause.

Pour le passage à l’État bourgeois il faudra quatre-vingt ans

En France pour le passage de l’État royal à l’État bourgeois il faudra quatre-vingt années pour que ce passage aux commandes de l’État soit effectif. Depuis Il se pratique par le règne de l’élu sans contrôle et sans révocation possible. Un ersatz de démocratie qui s’impose jusque maintenant. Ça ressemble à la démocratie mais ça n’en a ni le contenu ni le goût ni la saveur. C’est la démocratie bourgeoise.

Passer de la critique de l’État à la réalisation de la prise du pouvoir avec « contrôle et possible révocation des élus » suppose une maturation qui dépend des conditions historiques et culturelles. C’est le rôle des organisations révolutionnaires d’aider à l’accélération de ces maturations sans se substituer au prolétariat.

L’objectif de l’autogestion généralisée est une nécessité tout comme l’internationalisme l’est car, sans développement aux autres pays, une situation révolutionnaire stagne et régresse et donne à la bourgeoisie les forces pour récupérer son pouvoir c’est-à-dire le contrôle de l’État.

La stratégie autogestionnaire c’est précisément le processus que nous cherchons à promouvoir : l’émergence d’un autre pouvoir qui double le précédent et, à partir de cet état de fait, en devient matériellement et idéologiquement un concurrent, bientôt un ennemi mais surtout un vainqueur.

La stratégie de l’autogestion s’oppose de fait à la dérive de l’usurpation du pouvoir. Cette usurpation n’est rendu possible qu’à deux conditions, d’ailleurs indissolublement liées : un état d’impréparation idéologique et culturelle des classes révolutionnaires ET l’illusion sur une avant-garde auto-proclamée qui prétend conduire la révolution au lieu d’être à l’écoute de ceux qui la font : c’est le péril maintes fois observé du « substitutisme » !