Thessalonique-referendum1Ceci est une vision personnelle du référendum populaire qui a eu lieu à Thessalonique le 18 mai concernant la privatisation. Vous pouvez en savoir plus sur ce référendum ici.

D’abord, d’un point de vue quantitatif :

À peu près 2000 bénévoles ont installé des urnes à côté des 192 centres de vote destinés aux élections municipales des 11 communes de la métropole de Thessalonique. De nombreuses associations ou groupes de citoyens ont travaillé ensemble pour que se tienne ce référendum avec le support moral et matériel des 11 conseils municipaux. Seuls quelques bénévoles, effrayés par la menace du gouvernement d’arrêter les organisateurs au nom d’une « obstruction d’un processus électoral » ont préféré ne pas se présenter. Cependant, les groupes de coordination ont su attirer du monde pour remplacer les absents. Il y a eu quelques incidents mineurs avec des policiers refusant de mettre à disposition les urnes aux organisateurs, mais des avocats ont su résoudre le problème dans tous les cas.

218 000 personnes ont exprimé un vote, ce qui représente 34 % des inscrits, à comparer au taux de participation de 55 % aux élections municipales. Plus de la moitié de ceux qui ont voté aux municipales ont donc participé au référendum. Si ces urnes avaient été placées à l’intérieur des centres de vote de façon plus visible, cette participation aurait pu être encore plus forte. Malheureusement, le gouvernement a tout fait pour discréditer les appels au référendum et les repousser loin des bureaux de vote.

98 % des votes se sont exprimés en faveur du NON à la privatisation de la société de fourniture d’eau et d’assainissement de Thessalonique. La raison d’un tel score à la « nord-coréenne » est double. D’abord les habitants sont profondément en défaveur de la privatisation. Des sondages menés avant le référendum montraient que 75 % d’entre eux étaient défavorables à la privatisation. Ensuite, le gouvernement, par le biais de son candidat conservateur à la municipalité et le ministre de l’intérieur, avait donné la ligne à ses partisans : ce référendum est illégal et sans aucune validité. Ainsi de nombreux électeurs conservateurs n’ont pas participé bien que d’autres aient quand même voté NON.

OXI signifie NON en grec

OXI signifie NON en grec

Des centaines de bénévoles sont restés jusqu’à 4 heures du matin pour décompter le vote, dans un climat mixte d’épuisement et d’euphorie sous le contrôle de l’Association des avocats de Thessalonique et de dizaines d’observateurs internationaux. Les résultats étaient annoncés en temps réel sur vote4water.gr.

Ensuite, d’un point de vue qualitatif :

Ce référendum est indiscutablement la plus grosse mobilisation populaire qu’a connue la ville depuis des années. Il demandait un haut niveau de responsabilité et d’engagement sur le long terme pour beaucoup de personnes et il a créé un large sentiment d’adhésion des participants. En devenant l’objectif d’un vaste regroupement de collectifs, d’institutions ou d’individus qui dépassait les frontières politiques, il nécessitait une coopération renforcée et des actions conjointes de groupes qui sont habituellement en désaccord ou en concurrence, formant ainsi les bases d’une coexistence future, voire d’un courant de pensée. Il mis un terme à la solitude et au sentiment d’isolement de nombreux militants de longue date qui, en contact avec la population locale, ont réalisé qu’il y a un lien entre leurs luttes et les préoccupations des citoyens de Thessalonique. En dépit d’une volonté de conserver une stricte neutralité au moment du vote en décourageant les discussions autour de l’urne, les gens continuaient d’exprimer leur indignation à l’égard des plans de privatisation de la société de l’eau et de la tentative de déclarer ce référendum illégal. Les habitants ont ressenti un pouvoir collectif, retrouvant ainsi un peu de la dignité qui leur avait été enlevée par quatre années d’austérité et de privatisations. De nombreuses personnes, démotivées par le processus électoral, ne se sont dérangées que pour participer au référendum ; il est incroyable de voir l’effet que cela a de se faire entendre sur un sujet important à l’égard d’un système politique qui traite les électeurs comme des clients et génère l’apathie et la résignation.

Une petite graine de démocratie directe et de participation des citoyens dans les affaires politiques aura ainsi été plantée ce 18 mai. Bien sûr, beaucoup de ce qui est actuellement présenté en Grèce comme démocratie directe est trompeur, celle-ci se réduisant souvent à une formule telle que « démocratie représentative + référendums sur les sujets importants ». Au contraire, la démocratie directe est la participation sans intermédiaire de la société entière dans la gouvernance politique du niveau local aux plus hauts niveaux sans structure de représentation et rituel de délégation de notre pouvoir politique comme le sont les élections nationales par exemple. Bien évidemment, la route vers cet idéal d’engagement et de participation citoyennes pour reprendre en mains nos affaires passe par une implication directe de la communauté locale, une conscience et une éducation à l’égard de la solidarité et de la coopération, ce qui signifie rompre avec ces habitudes acquises de longue date d’individualisme, de consumérisme et d’isolement social. C’est un autre aspect sur lequel le référendum a été fondamental : créer de la conscience politique et un sentiment de pouvoir collectif.

Avant ce référendum, le mouvement pour l’eau de Thessalonique se réduisait à quelques centaines de militants et un nombre significatif d’habitants concernés. Après cette expérience de pouvoir collectif, je me risquerais à dire que ce mouvement a une dimension « populaire » comparable au mouvement de masse qui se bat pour la terre et la dignité contre les gigantesques projets d’exploitation minière dans la Chalcidique toute proche.

Le référendum se déroulait dans les rues à l'écart des bureaux de vote des élections municipales

Le référendum se déroulait dans les rues à l’écart des bureaux de vote des élections municipales

Après cette expérience de dimanche, la seule chose qui pourrait entraver le développement de ce mouvement, comme c’est souvent le cas dans les luttes victorieuses, serait une lutte intestine entre des leaders aspirant à une carrière politique, des partis ou tout autre groupe qui cherche à capitaliser sur la merveilleuse mobilisation de milliers de personnes pour rejettent ces querelles picrocholines. Nous devons tous rester humbles face à un moment aussi critique de cette lutte ; une grande bataille a été gagnée, mais le véritable ennemi, le capitalisme et sa marionnette gouvernementale, continuent de menacer la compagnie des eaux. Sauf si nous nous mobilisons tous pour les virer, revendiquer la victoire serait tout simplement ridicule. Rester humbles aujourd’hui signifie reconnaître que le mouvement est pluriel et multiforme, qu’aucune personne ou groupe ne peut représenter ou parler au nom de l’ensemble du mouvement, qu’aucun groupe, parti politique ou candidat à la mairie ne peut se prévaloir de l’issue de ce référendum. Avant tout, ce grand NON généralisé à la privatisation n’est qu’un préambule à un débat ouvert et démocratique à propos de l’avenir de la gestion de l’eau et de la meilleure façon de garantir la participation démocratique, la protection de l’environnement, la transparence et la justice sociale à l’égard de cette ressource essentielle.

Fait intéressant à noter, dans les élections municipales de la ville voisine d’Aristoteles, affectée par le conflit sur les mines que nous avions évoqué précédemment, le mouvement d’opposition a, à l’issue d’un processus démocratique, désigné un candidat commun pour s’opposer au maire actuel, Christos Pachtas. Celui-ci est d’ailleurs quasiment devenu un porte-parole d’Eldorado Gold, la société canadienne qui gère le projet. Dimanche 18 mai, le candidat du mouvement, Giannis Michos, a gagné avec une légère avance et a retiré à Pachtas une position qu’il tenait pour acquise de droit : après tout, il était le vice-ministre de l’économie qui avait vendu les permis d’extraction pour pas grand chose à la société canadienne, une transaction par ailleurs condamnée par la Cour européenne de justice.

Bien qu’il ait été accusé d’avoir tempéré sa position anti-mines, le nouveau maire Giannis Michos est le symbole d’un mouvement qui a su mettre de côté ses différences et ses querelles micro-politiques pour s’opposer à l’ennemi commun en mobillisant toutes ses ressources. C’est le premier signe de maturité des mouvements anti-néolibéraux grecs de résistance dans un paysage où ceux qui sont au pouvoir ont su diviser pour régner, opposant les groupes les uns contre les autres permettant ainsi à une petite élite impitoyable de diriger la majorité de la population.

Traduction : Benoît Borrits

Article original : http://www.autonomias.net/2014/05/people-vs-corporate-rule-some-personal.html