FlaskoVoilà dix ans que l’usine Flakô au Brésil est occupée par ses travailleurs dans une perspective de revendication de nationalisation sous contrôle ouvrier.  Emblématique d’un mouvement vivant autant que diversifié de récupérations d’entreprises par les travailleurs, cette occupation relance le débat sur le rôle émancipateur des coopératives et/ou de l’État. Nous publions ici le manifeste des travailleurs de Flaskô ainsi qu’une vidéo (sous-titrée en anglais) sur cette expérience.

Les premières occupations et récupérations d’entreprises par les travailleurs au Brésil remontent aux années 1980, début de la démocratisation du pays après plusieurs années de dictature militaire. C’était aussi une période de grave crise économique qui s’intensifiera dans les années 1990 par l’intégration du pays dans la mondialisation et la mise en œuvre de politiques néolibérales. Face à l’augmentation des faillites d’entreprises et du chômage, occuper et récupérer les usines en faillite dans lesquelles ils travaillaient constituait une forme pratique de résistance utilisée par un nombre important de travailleurs.

Ce phénomène est apparu dans différentes régions du pays, avec quelques centaines de luttes. Ces expériences ont principalement émergé dans des espaces urbains, avec occupation et récupération d’industries métallurgiques, chimiques et textiles, mais aussi à la campagne, dans le secteur agroalimentaire par exemple. Dans la recherche que nous avons menée dans les années 2011 et 2012, avec la participation de chercheurs de dix universités brésiliennes 1, nous avions identifié 145 entreprises qui ont été récupérées et rendues à la production par l’autogestion ouvrière au cours des dernières décennies au Brésil. Seules 67 de ces récupérations restent actives à ce jour représentant 12 000 travailleurs.

Du fait de ces expériences, un débat politique a émergé relatif à l’autogestion ouvrière et aux processus d’organisation politique des travailleurs des entreprises occupées et récupérées dans le pays. Il a donné lieu à des prises de position parfois approximatives, qui résultent des différentes perspectives théoriques et politiques sur le rôle de l’autogestion des travailleurs dans le mouvement syndical et dans la pensée socialiste et marxiste.

Face à la réticence du mouvement syndical aux premiers cas d’occupation et de récupération s’expliquant par la prévalence d’une vision limitée aux relations de travail entre patron et employé, l’Association Nationale des Travailleurs d’Entreprises de Autogestion (ANTEAG) a été créé en 1994, par d’anciens syndicalistes participants à l’Opposition Syndicale et aux groupes religieux liés à la Théologie de la Libération. Cette articulation a formé le corpus politique du mouvement coopératif autogestionnaire et de résistance, qui a permis aux entreprises récupérées par les travailleurs de prendre une part active importante à la création du mouvement d’économie solidaire au Brésil. Plus tard, les coopératives ont trouvé un espace, qui reste cependant marginal, dans la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), avec la création de l’Unisol Brésil dans les années 2000.

Dans le même temps, une autre orientation s’est construite avec l’émergence du Mouvement des Usines Occupées en 2003 qui prône l’étatisation des usines sous le contrôle ouvrier, orientation dans laquelle s’inscrit l’histoire de Flaskô. Au-delà de cette usine, fabriquant des emballages plastiques, située dans l’État de São Paulo, avec ses 70 travailleurs, ce mouvement a soutenu l’occupation d’autres usines comme celles situées dans l’État de Santa Catarina, Interfibra et Cipla, qui ont été évacuées par la force, après cinq ans d’occupation, par la justice en 2007.

L’usine Flaskô reste occupée et produit depuis plus de dix ans. Contrairement à la plupart des entreprises récupérées par les travailleurs dans le pays, elle ne s’est pas instituée en coopérative, du fait de la revendication politique de l’expropriation et de nationalisation de l’usine par l’État.

D’un autre coté, avec la menace permanente de l’intervention judiciaire – comme celle qui a eu lieu en 2007, à laquelle la vidéo et le manifeste font référence – les travailleurs et les militants qui soutiennent Flaskô travaillent à maintenir la mobilisation politique et l’action avec la communauté environnante. C’est également un moyen de lutte et de pression sociale que l’on retrouve très fréquemment dans les expériences de récupération d’entreprises en Argentine qui se sont multipliées après la crise de 2001.

En 2012, le mouvement a été en mesure d’articuler la présentation de deux projets préliminaires de loi qui sont actuellement en discussion au Sénat National. Le premier porte sur la déclaration d’intérêt social du territoire de la Flaskô et de son village ouvrier. Le second, plus général, porte sur la possibilité d’expropriation et de transfert du contrôle des entreprises en faillite à ses travailleurs. Ces lois et la réalisation d’un cadre juridique favorable sont essentielles au développement de l’autogestion au Brésil. Les dix ans de Flaskô, ainsi que l’existence de plusieurs entreprises récupérées par les travailleurs au Brésil depuis plus de vingt ans, témoignent de la viabilité de la production sous autogestion ouvrière. Au-delà du fait que des milliers de travailleurs, dans l’urgence de la nécessité, luttent pour le maintien de leur travail, le débat socialiste sur le rôle révolutionnaire des coopératives et de l’État, comme outils d’auto-émancipation du travail, reste plus que jamais d’actualité.

Le manifeste, traduction de Richard Neuville

Une vidéo racontant l’histoire de Flaskô (en portugais non sous-titré) :

 

Notes:

  1. Les résultats de la recherche sont publiés dans : Henriques, Flávio Chedid; Sígolo, Vanessa Moreira; Rufino, Sandra; Araújo, Fernanda; Nepomuceno, Vicente; Giroto, Mariana; Paulucci, Maria Alejandra; Rodrigues, Thiago; Rocha Maira; Faria, Maurício Sardá de, Empresas Recuperadas por trabalhadores no Brasil. Rio de Janeiro: Multifoco, 2013. Sur l’Internet, cet article présente une partie de ces résultats : http://www.ipea.gov.br/agencia/images/stories/PDFs/mercadodetrabalho/bmt55_econ02_empresas.pdf