AndresruggieriLa première édition européenne des Rencontres internationales « L’Économie des travailleurs » s’est tenue les 31 janvier et 1er février dans l’usine occupée par les Fralib à Gémenos. Andres Ruggeri, anthropologue à la Faculté de philosophie et de lettres de l’Université de Buenos Aires (UBA) est l’initiateur de ces rencontres. Le programme « Faculté ouverte » qu’il a créé à l’UBA en mars 2002 a été déterminant pour le développement du mouvement des entreprises récupérées argentines. Ce programme est aujourd’hui remis en cause par la nouvelle direction de l’UBA (voir en fin d’interview). Retour sur dix ans de combat.

Pourrais-tu nous décrire le programme « Faculté ouverte » ?

C’est un programme créé par un petit groupe de professeurs et d’étudiants trois mois après les mesures de contrôle des changes prises par le gouvernement argentin en décembre 2001 qui ont précipité la chute de l’économie argentine. Un changement politique à la direction de l’Université de Buenos Aires nous a permis d’initier un programme universitaire de soutien aux mouvements d’auto-organisation qui surgissaient de toutes parts. Bien que nous n’ayons pas de budget, nous voulions apporter notre expérience militante et nos compétences techniques aux assemblées populaires et aux occupations d’entreprises. Très rapidement, nous nous sommes spécialisés dans le soutien aux entreprises récupérées par leurs travailleurs (ERT).

Notre activité comporte aujourd’hui trois dimensions. Un support industriel et juridique aux ERT pour diagnostiquer l’état des équipements et les aider à redémarrer la production, réalisé avec des équipes universitaires d’ingénieurs et d’avocats. Un travail d’enquête permanent sur les ERT qui ont donné lieu à quatre rapports en 2002, 2009, 2010 et 2013. Enfin, la constitution d’un centre de documentation situé au sein de l’imprimerie récupérée Chilavert en convention avec l’UBA. Nous travaillons de concert avec le Mouvement National des Entreprises Récupérées et tous les autres regroupements qui en sont issus à l’exception d’un seul qui, selon nous, présente une dérive affairiste.

Quelle est l’origine des rencontres « L’économie des travailleurs » ?

Nous nous sommes vite aperçus que ce mouvement de reprise des entreprises est non seulement pratique mais porteur d’une théorie. Nous avons alors voulu articuler les pratiques des entreprises récupérées et les apports des chercheurs. Grâce au centre de documentation, nous avions bâti des relations internationales avec des équipes de divers pays. Nous avons alors décidé d’organiser des rencontres internationales que nous avons baptisées « Économie des travailleurs » pour  élargir le mouvement aux multiples formes de luttes du monde du travail qui pouvaient s’y agréger.

L’objectif de ces rencontres est de construire un lieu de discussion sur l’appropriation de l’économie par les travailleurs. Nous voulons favoriser les liaisons entre les organisations et bâtir des concepts qu’elles puissent s’approprier. Il est urgent que les partis de gauche reconstruisent de la théorie. Les deux premières rencontres ont eu lieu à Buenos Aires en 2007 et 2009, la troisième rencontre s’est tenue au Mexique en 2011 et la quatrième dans le Nordeste du Brésil en 2013. Dès la première édition, 300 personnes ont convergé de toute l’Amérique du Sud, du Mexique, du Canada, des Etats-Unis et d’Afrique du Sud. Mais l’Europe et l’Asie étaient les grandes absentes. J’ai été en Chine en mai 2013 pour proposer une rencontre régionale. Beaucoup de militants sont intéressés par l’expérience argentine. Ils veulent monter des coopératives pour lutter contre les privatisations et l’exploitation dans la construction et l’électronique.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de ces premières rencontres européennes ?

L’Europe a une forte tradition autogestionnaire mais elle l’a, hélas, oubliée. Les conditions d’une résurgence sont là mais les expérimentations sont portées par des groupes isolés, à tel point que ce sont des argentins qui ont pris l’initiative d’une rencontre en Europe ! Hernan Harispe, président de l’Association Solidarité Provence Amérique du Sud, avait, avant son décès en septembre dernier, établi les premiers contacts avec les Fralib, l’Association Autogestion, et d’autres partenaires européens pour co-organiser cette édition.

Bien qu’elle ait été montée en un temps record – deux mois – elle a réuni près de deux cents participants d’Amérique et d’Europe, provenant d’entreprises récupérées, de mouvements autogestionnaires ou de syndicats, notamment de France, d’Italie, de Grèce, d’Espagne et de Serbie. Au total, douze nationalités étaient représentées. Je n’ai pas constaté de différences majeures d’approche entre cette rencontre et celles qui se sont déroulées en Amérique latine. Elle a permis une discussion fraternelle entre différentes tendances politiques dans un but commun. C’est une bonne impulsion pour la prochaine rencontre mondiale qui se tiendra au Venezuela en juillet 2015. Ces échanges aideront à développer des synergies entre les différentes expériences.

Suite à un changement politique à la tête de l’Université de Buenos Aires, le programme Faculté Ouverte a été supprimé en décembre 2013. Signez la pétition pour le maintien des financements :

http://www.change.org/petitions/graciela-morgade-contin%C3%BAe-y-profundice-las-tareas-del-programa-facultad-abierta-y-el-centro-de-documentaci%C3%B3n-de-empresas-recuperadas?recruiter=79355943&utm_source=share_petition&utm_medium=email&utm_campaign=petition_invitation