Pilpa-Fabrique du SudPilpa, ça commence par une histoire, hélas, banale : une PME qui se fait racheter par un groupe, lui-même détenu par un fonds d’investissement. Il s’agissait pour le groupe de mettre la main sur un marché et des marques pour rationaliser la production, quitte à laisser sur le carreau des salariés. Neuf mois après le rachat, le groupe veut fermer l’usine Pilpa de Carcassonne. Les salariés résistent, obtiennent des indemnités supra-légales. Mais pour certains d’entre eux, la lutte ne s’arrête pas là et la production va se poursuivre sous d’autres formes.

Pilpa était une entreprise de fabrication de crèmes glacées basée à Carcassonne, filière de la coopérative agricole 3A. Elle offrait ainsi des débouchés commerciaux aux producteurs de lait de la région. Du fait de difficultés économiques, le 11 septembre 2011, 3A cède pour 27 millions d’euros l’entreprise à R&R, un autre fabricant de crèmes glacées, lui-même fusion de deux autres sociétés. R&R appartient au fond d’investissement américain Oaktree Capital Management, ce qui va donner une certaine tournure aux événements qui vont suivre. Pilpa, comme R&R, était spécialisé en marques de distributeur, c’est-à-dire vendue sous des noms tels que Disney, Oasis, Carrefour… En faisant l’acquisition de Pilpa, R&R était plus intéressé à mettre la main sur ces marchés que sur une usine et ses salariés. Ce qui devait arriver, arrivera… Dès novembre, la R&D est fermée car jugée obsolète, entendons par là, concentrée à Plouédern en Bretagne. En février 2012, les 17 commerciaux basés à Toulouse sont licenciés dans la mesure où Pilpa devra désormais vendre ses crèmes glacées au groupe et non plus à ses clients traditionnels. Enfin, le 5 juillet 2012, la nouvelle tombe : l’usine de Carcassonne sera fermée car non rentable. Comment expliquer cette séquence ? Pour que la société puisse mener à bien son programme d’acquisition, Oaktree Capital prête à R&R des liquidités, jusqu’à 560 millions d’euros, rémunérées à des taux supérieurs à 8 %. Habile manière d’obtenir de sa société des flux de liquidités en lieu et place de bénéfices qui eux seront taxés. Rien de mieux qu’une société en perte pour justifier des fermetures d’usine et une baisse de la masse salariale… Travail payant puisque l’ensemble R&R sera revendu le 29 avril 2013 à PAI Patners pour une somme confidentielle.

Du désert industriel...

Du désert industriel…

Oui, mais voilà, les salariés ne l’entendaient pas ainsi. Avec le cabinet Progexa, ils contestent le PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi) qui leur est proposé : 8 propositions de reclassement sur 119 salariés. Le 11 décembre 2012, un jugement en référé leur donne raison, le jugeant « insuffisant » sur les mesures de reclassement. La direction présentera alors un autre plan comportant 80 postes dont un seul comme agent de maîtrise alors que la majeure partie des salariés appartiennent à cette catégorie : des déménagements accompagnés de baisses de salaires en perspective. Face à ce PSE, et comme chez les Fralib, les salariés développent un projet de SCOP qui permettrait de conserver les emplois. La direction s’oppose à tout projet de reprise qui maintiendrait une fabrication de crèmes glacées.

Finalement, c’est avec la direction nommée par le nouvel actionnaire PAI Partners qu’un accord sera trouvé avec les salariés. Tous obtiendront des indemnités supra-légales de licenciements représentant entre quatorze et trente-sept mois de salaire brut ainsi qu’un budget de formation de 6 000 euros par salarié. Côté SCOP, la nouvelle direction ne s’oppose pas à ce qu’une nouvelle entité produise de la crème glacée à la condition toutefois qu’elle n’opère pas sur le marché des marques de distributeur. La direction s’engage à laisser sur place une ligne de production, à subventionner 815 000 euros de machines et matériels divers, à financer 200 000 euros de formation ainsi qu’une étude de faisabilité confiée à un cabinet d’experts. Un peu plus tard, la communauté d’agglomération de Carcassonne fera l’acquisition des bâtiments et des terrains pour revitaliser économiquement le lieu et donc permettre, entre autres, à la SCOP de démarrer.

A la renaissance : l'équipe de R&D de La Fabrique du Sud

A la renaissance : l’équipe de R&D de La Fabrique du Sud

A ce jour, seuls 21 salariés restent pour tenter l’aventure de la SCOP qui s’appelle désormais La Fabrique du Sud. C’est peu, certes, mais cela se comprend aisément, car le projet n’est pas sans risque : chaque coopérateur doit apporter 5 000 euros de parts sociales et mobiliser ses allocations chômage sous forme d’ACCRE (Aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise). Mais le projet tourne le dos à une certaine forme d’économie globalisée qui a justement provoqué la fermeture de l’usine, celle des économies d’échelle où la production est concentrée dans un nombre d’endroits optimum pour être ensuite expédiée aux quatre coins de l’Europe en camions réfrigérés et sans aucun souci de l’environnement. Le projet de La Fabrique du Sud consiste à produire de la crème glacée de qualité avec du lait frais en provenance de producteurs locaux qui sera pasteurisé sur place, et des fruits provenant des Pyrénées orientales voisines ou des environs. Cette approche s’accompagne d’une démarche de commerce équitable voulant associer à la qualité intrinsèque du produit un prix rémunérateur pour le producteur.

La Fabrique du Sud porte en elle-même un projet alternatif d’économie dans lequel le qualitatif prime sur le quantitatif. Il ne s’agit plus de produire pour générer des flux de trésorerie pour des actionnaires mais de produire parce que cela répond à des besoins humains de recherche de qualité de vie. Dans ce cadre, le travail trouve sa justification immédiate et se réconcilie avec lui-même. Des 23 millions de litres que réalisait annuellement Pilpa, La Fabrique du Sud n’en fera plus que 2 à 3 millions, mais destinés à être consommés localement. Dans la même veine, son projet est de se diversifier vers d’autres produits laitiers tels que des yaourts. Sur les décombres que nous laisse la financiarisation de l’économie, la Fabrique du Sud n’est-elle pas en train de participer à l’émergence d’un autre modèle économique, plus soutenable, respectueux de l’environnement et dans lequel les individus sont réellement maîtres de leur destin ?