Makis-roxanneJeudi 20 juin, Makis Anagnostou, porte-parole des travailleurs de Vio.Me., entreprise de Thessalonique récupérée par ses salariés était notre invité. Environ 80 personnes étaient présentes à la librairie Résistances où se tenait cette réunion publique. Pour rappel, Vio.Me. était une filiale du groupe de construction Filkeram Johnson spécialisé dans les matériaux de construction. Cette filiale réalisait des colles et dissolvants pour la construction. L’entreprise a été abandonnée par ses patrons et les salaires ne sont plus payés depuis plusieurs mois. En février de cette année, soutenus par une très forte mobilisation de la société locale, ses 38 travailleurs relancent la production et réalisent désormais des produits d’entretien à destination des ménages. L’entreprise  exige sa légalisation en tant que société coopérative et ne peut, pour l’instant, que distribuer ses produits dans des réseaux alternatifs.


Makis a rappelé que Vio.Me. était autrefois une entreprise florissante. De 2000 à 2006, elle était considérée par la presse économique comme une des vingt entreprises les plus prometteuses de la Grèce du Nord, celles qui ont doublé aussi bien leur chiffre d’affaires que leur bénéfice. Un bureau d’étude avait estimé que le potentiel de croissance de 2010 à 2014 était fort et que Vio.Me. aurait pu sauver la maison mère Filkeram-Johnson aujourd’hui en faillite. Au lieu de laisser cette société se développer, la maison mère a préféré l’endetter pour, au final, l’abandonner.

Le syndicat des travailleurs de Vio.Me. avait très tôt créé une caisse de solidarité à laquelle 65 % des salariés cotisaient. Ce syndicat avait obtenu de la direction la possibilité de recycler, pour son compte, des matériaux que l’entreprise abandonnait. C’est ce petit capital qui leur a permis d’affronter la crise. Le syndicat est totalement indépendant des partis politiques et des bureaucraties syndicales. Les décisions se prennent toujours en Assemblées générales et cette pratique démocratique explique en partie que 97 % des travailleurs se soient prononcés pour la reprise en autogestion.

Selon lui, leur radicalité ne vient pas d’une quelconque idéologie mais d’une volonté des individus de maintenir leur dignité en période de crise. Même si le gouvernement et la Commission européenne ont fait des textes qui reconnaissent l’existence du travail autogéré, leur entreprise n’est pas légalisée. « Toi, tu fais les lois, nous on fait tourner l’usine » aiment-ils rappeler aux politiques. Cette initiative n’a été possible que parce qu’elle a reçu un soutien formidable de la part de la société, cette société qui est aussi consommatrice de leurs produits. Bien entendu, Vio.Me. est une très petite entreprise et il est vital pour eux que cette expérience se généralise. A l’image de l’horlogerie et conformément à leur affiche, ils s’imaginent être une petite roue dentée entraînant « la grande roue de la classe ouvrière. »

Le débat a ensuite débuté. Diverses demandes de précisions ont été exprimées quant à l’activité et aux réseaux de distribution de l’entreprise. Makis a rappelé que les produits qu’ils fabriquent sont aujourd’hui réalisés à partir de produits naturels et sans composants chimiques. L’objectif est de proposer des produits peu onéreux destinés à tous les ménages. L’organisation du travail a été profondément modifiée par la disparition des contremaîtres. Désormais, une courte AG tous les matins décide de la répartition des tâches.

En ce qui concerne la négociation avec les fournisseurs, Makis a précisé qu’ils payaient comptant et que dans la Grèce en crise, les liquidités sont essentielles dans toute négociation. Ceci n’a été possible que grâce à la caisse de solidarité qui a été instaurée quelques années auparavant.

Il nous a informé de l’initiative du 26 juin, journée internationale de solidarité avec Vio.Me. pour exiger la légalisation de la coopérative. Il a rappelé l’importance de ce combat en expliquant qu’un succès sur ce terrain faciliterait d’autres initiatives en ce sens, notamment du côté de l’entreprise de tabac CECAP basée en Thrace, une autre entreprise en Eubée fabricant du matériel d’énergie renouvelable ou, toujours en Eubée, les ciments Lafarge où les travailleurs ont, un moment, pensé reprendre l’usine.

Dans le contexte particulier de la crise en Grèce qui a provoqué 1500 suicides, il revient sur le soutien qu’ils ont reçu de la population locale. Dès avril 2012, les travailleurs de Vio.Me. recevaient des produits alimentaires de la part de la population. « Ce moment était magique, précise Makis, cela nous a donné de l’audace, on a rencontré des gens pour qui l’autogestion était une ligne directrice dans leur vie. » Ce soutien contrastait avec l’indifférence des députés locaux et des bureaucraties syndicales : « Eux ont gagné du temps, nous en avons perdu. »

Suite à une question de la salle, il revient sur leur démarche écologique qui date d’avant l’occupation. Durant la dernière année de présence du patron, ils ont pu recycler 36 tonnes de papiers, 500 kg d’aluminium et 6 tonnes de verre. En terme de production, il estime normal que la société évolue et adopte des produits naturels. La coopérative Vio.Me. pratique une politique de salaire unique tout en précisant que celui-ci est actuellement faible et irrégulier.

Il revient sur les relations des travailleurs de Vio.Me. avec la politique en précisant que nombre d’entre eux votaient antérieurement à droite. « Aujourd’hui, les plus à droite votent Syriza » explique-t-il avec un sourire. Il rappelle le soutien de ce parti sans oublier celui des milieux anarchistes. Sans le nommer, il rappelle qu’un parti de gauche (on suppose qu’il s’agit du KKE, parti communiste stalinien non membre du Parti de gauche européen) s’est violemment opposé à leur initiative. Il a toutefois précisé qu’il est arrivé à établir des contacts avec les travailleurs des aciéries d’Athènes pourtant sous influence de ce parti.

Une intervention fait part du projet français de loi relatif au droit de préemption des salariés pour reprendre leur entreprise en SCOP en cas de rachat de celle-ci. Makis interroge le bien-fondé qu’il y aurait à demander aux salariés de payer ce prix.

Le débat s’est terminé un peu plus tardivement que prévu. Makis rappelle l’exigence des travailleurs de Vio.Me. à régulariser leur coopérative. Vio. Me. ne diffuse ses produits que sur des marchés alternatifs et aimerait se développer. Il en appelle à la journée internationale de solidarité avec Vio.Me. du 26 juin 2013. Une quête de solidarité dans la salle a permis de récolter 402 euros. Un grand bravo à Roxanne Mitralias qui a assuré la totalité de la traduction de cette soirée.

Reçu de Vio. Me. que nous a remis Makis Anagnostou à l'issue de la collecte.

Reçu de Vio.Me. que nous a remis Makis Anagnostou à l’issue de la collecte.